Un rêve mystique (2)

Publié le par AdeleacheH

Que fait-on de ses souvenirs ? Des neiges éternelles dont ils semblent être sortis, leur cours disparaît dans les chairs molles de mon cerveau et l'aiguille troue parfois sa surface, lisse son fil d'un sillon que j'emprunte toujours pour la première fois par la grâce du temps qui ne revient, jamais, deux fois. Où est la mer, qu'ils se jettent, se noient, donnent matière à la nouvelle pluie ? De maudits ruisseaux qui n'y parviennent jamais, ou la belle préfiguration d'un temps définitivement perdu qui ne fera jamais revenir ses eaux sales ? Tant de pierres à traverser de sa flèche ...

J'en étais là de ma réflexion quand je m'apprêtai à vider le cendrier plein des pelures de la pêche que je venais de manger.

Se donner à soi-même un signe avant qu'il ne s'impose de son évidente amertume, c'était à présent la chose qui se présentait à l'évidence de mon esprit. Je ne sais pas si je peux oser cette supposition, mais je n'ai jamais été dépressive car les larmes ont toujours eu dans mes représentations une coloration surnaturelle, jusque dans mes rêves. La nature n'est qu'une espèce de joie immanente, le recueillant d'un souffle de vie sans orgueil, dépouvu d'écume et de limite à son étendue, jusque dans la gorge du lion recueillant la vie de sa proie de sa gorge même. Les larmes sont en revanche comme la marque d'une surabondance divine pour laquelle on ne saurait sans la mutiler de notre absence, participer à l'orgie du chant dithyrambique de la Nature.

J'en étais là de ma pensée, quand je remarquais que ces peaux rouges de ma pêche s'égrenaient de toutes les variations rougeoyantes des teintes oranges aux plus cramoisies et s'étoilaient aux cinq points cardinaux.

Le signe de la fin même pas du monde pour lui, mais du monde pour moi, m'était donné, la certitude de cette nécessité m'avait projetée au sol et sur ce sol gisaient tous les deuils et les vieux lambeaux d'une vie qui n'aurait jamais l'oeuvre capable de dilater le temps d'un sursis, une vie même pas diabolique, une vie cherchant à tâtons la sortie de tous les rêves possibles, la porte de l'éveil.

Il semble se dessiner la silhouette humaine à genoux dans ces lambeaux de pêche et la couleur circule dans ce mirage comme un flux sanguin bien délimité et clôt, me disais-je à ce moment de ma réflexion.

S'en tenir à une improvisation, la vie donne son standard , rien n'est le produit du hasard et ma cervelle frémit de reconnaissance, je chante l'homonymie du monde pour mieux entendre le silence de l'unique. Je n'ai peur de rien et il me semble que ma ruse est bien plus forte que toutes les ombres de la nuit amonscellées ; mieux, la nuit elle-même est une grâce qui me cache comme un vêtement en plein jour. Mon âme a confisqué au monde son obscure question du nombre et du poids des ans et je le regarde dans son insignifiance littérale, tout vidé de son objectivité. Je le regarde, c'est l'unique sens que je reconnaît à ma présence et à la sienne, j'ai changé la bande originale du film, dire que je ne l'écoute pas est finalement un faible mot, et la quête du silence appelle les vieilles écritures que personne ne prononce plus, les langues mortes comme arrière monde déposant sa puissante surdité dans l'oreille de la modernité contemporaine.

Tout autour de l'humain agenouillé se dessinent dans la profondeur diaphane les circonvolutions d'une écriture inconnue,mais celle-ci bien vivante, glissant comme autant de mots dont se gorgent les souffles ruisselants de l'espace. Le monde est un gros animal de part en part traversé par ces mots me disais-je alors et comment l'atteindre, comment le lire s'il ne verse son encre et ne donne sa page ?

Je ne fais aucun récit de ce que je vois, tout est là éparpillé et mon culte est un mot, peut-être moins, une lettre, encore moins, une larme. Qui te donne le récit et je te dirai où est ton ministère du culte, ses intermédiaires... Voilà la puissance d'un récit, terrestre, céleste ou entre les deux... Caché dans la tombe ou publié à tous les vents... Initié ou troubadour... Qui lie la direction de ton regard.

La lumière, ou était-ce une boule de feu ? a singulièrement scintillé à l'oreille de l'humain, voilà où en était ma réflexion à cet instant, semblant descendre vers lui, et lui murmurer : comment t'atteindre, comment te lire si tu ne verses pas ton encre et ne donne ta page...Seigneur !

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G
J'espère que mon premier commentaire ne vous découragera pas car, malgré mes critiques, j'ai bien aimé lire votre suite. J'y ai trouvé un travail important sur les sonorités – notamment les rimes intérieurs. Par ailleurs j'ai vivement apprécié le jeu subtile entre immanence de la nature et transcendance des larmes. L'espèce de douce cruauté innocente du lion et du règne animal. Puis la synthèse en quelque sorte à travers les pelures/lambeaux du fruit qui révèlent le destin commun de l'homme et de la nature, grâce à la présence du Dieu Créateur. Entre autres belles idées...
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A
Je tiens à vous remercier chaleureusement pour toutes vos remarques, c'est pour moi vraiment encourageant d'être lue et d'avoir suscité une réaction ! L'idée m'était bien venue, pour tout vous dire, que j'avais été un peu rapide et j'ai éclairci la mise en page. Admettons qu'il manque peut-être une troisième partie pour mettre les deux premières en lien...
G
Cette deuxième partie est obscure. Pourtant je vous ai lu. Vraiment lu. Avec bienveillance et sans autre idée que comprendre votre démarche.<br /> Je m'interroge : n'êtes-vous pas revenu dans le travers dont je vous avez fait part pour le texte : divagations métaphysiques ?<br /> Puisque vous avez dit que ce projet vous tenait à coeur, je ne ferai pas de littérature et je vous parlerai de bonne foi.<br /> J'aurai des choses à dire sur votre texte, elles sont notées sur mon brouillon. Cependant je vous parle par le biais du commentaire, c'est un moyen aussi pénible qu'étriqué qui suppose de la concision.<br /> Je ne retiendrai donc que l'essentiel sans pouvoir vous donner de détails et d'exemple précis.<br /> A mon avis, vous mettez trop d'idées à la fois dans votre texte. J'ai entendu quelque part qu'un thème appelait des variations. Ici, il y a plus de thèmes que de variations (thème de la fuite du temps, de la nature, de la révélation divine, thème de la trahison du réel, du rêve, de l'illusion...). Trop d'idées sans suite, abandonnées, me semblent-ils et qui font que l'on perd le fil ou que votre effet global se noie. Si j'avais un conseil à vous donner : cherchez la simplicité. De la simplicité, il jaillit souvent plus de mystère que de la profusion, quand bien même elle serait ouvragée pour être mystérieuse. Ne cherchez pas peut-être à chaque phrase un nouvel effet, une nouvelle image poétique qui ne viennent véritablement fortifier, renforcer les précédents et qui finalement ne soient que des variations d'un seul, puisqu'il faut chanter l'homonymie.<br /> Dernier point : votre premier texte me plaisait parce que la présence plus forte du récit évitait trop de dispersion. J'admire le pouvoir structurant de la narration-narration. Quand la narration passe au second plan, il faut prendre garde qu'un autre structure prenne la relève.<br /> Je vous dis tout cela avec bienveillance et humilité, car nous en sommes tous là, quand il s'agit non plus de critiquer mais d'écrire. Je ne suis qu'une plume qui s'adresse à une autre.
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