Un rêve mystique (3)

Publié le par AdeleacheH

A l'aube de ma vingtième année, l'image s'était imprimée avec tant de précision en moi, que je l'avais griffonnée hâtivement, abstraitement, colorée de tous ses feux, et son récit était inscrit en elle autant qu'en moi. J'avais le sentiment qu'une table avait été dressée pour moi et que les restes d'un fruit, destinés à la terre, peaux et noyau, avaient parlé du fond de leur impuissance, sa chair était la mienne, nous nous souvenions de nos protections, des espoirs adressés au tombeau qu'on rend à la terre. L'Esprit souffle toujours sur les eaux , éternellement connaît-il sa création à son premier principe et la chair s'en souvient qui rêve et incorpore la vue de tout ce qui n'a pas encore été mais qui parle, à saisir la rumeur colorée de toute chose que l'on ne connaît pas encore mais qu'on entend, puis la vision se fixe, de quel jardin était ce fruit au fond... ?

On peut rester un certain temps sans juger, l'esprit incarné voit se jouer la gamme de toutes les nuances de la diversité de la création, saisit ses variations semble-t-il infinies, peut-être est-ce même la définition du bonheur charnel que nous donne la beauté jusqu'au crépuscule.

Et si c'est la chair, la chair consomme. Et si l'on se demande d'où vient ce que l'on consomme, n'est-ce pas trop tard, n'est-ce pas toujours trop tard en réalité et le péché, s'il s'agit bien de ça, ou le don, si c'est l'ailleurs encore souhaitable, ne sont-ils pas d'abord donnés ?

J'étais silencieuse mais ma bouche ne tarissait pas. Voilà la vérité. Mon souffle à moi passait sur ces ruisselants désirs suintants sans aucun pourquoi, comme la myriade de mots enflait l'espace de mon icône. J'attendais de voir quel voile d'aveuglement ces lettres pourraient bien déchirer devant mes yeux prêts à explorer tous les mondes possibles. Je patientais comme le malade présente ses symptômes, attendant fébrilement l'ordonnance de sa guérison, le corps mis en joue, l'âme affamée.

Cher lecteur, un signe n'est jamais qu'une image, je te donne la mienne le plus innocemment du monde et ce ne fut pas une petite peine que d'arriver à décrire cette image si petite en elle-même depuis sa genèse. Pour moi, il reste évident que l'espace lui-même se troua quelques années plus tard sous l'avènement de cette vérité,comme je te le racontai d'emblée, disposition chronologique de mon récit aussi paradoxale que l'amen vient clôturer et non commencer toute parole, alors que c'est la véritable entrée. La certitude s'encra définitivement dans mon coeur, le service fut fait et te parlerais-je de cette épée constamment au-dessus de ma tête alors que c'est celle-là même qui m'a amené jusqu'à toi ?

...L'imagination manque si cruellement au papillon qu'il s'immola dans l'objet de son désir bien après la troisième morsure de la flamme, incapable de se souvenir de sa souffrance...Sans image, se rappeler de sa souffrance est la chose la plus difficile du monde, mais s'oublier, ne serait-ce qu'un moment...

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G
Pourquoi l'idée de ne pas écrire ce commentaire ne m'a-t-elle pas même effleurée ? Et pourtant quelles hésitations au moment que de débuter...Est-ce par crainte du risque d’en finir avec une nouvelle et douce habitude? Sans doute. <br /> J'admire la poésie de votre prose. Mais la frustration me gagne irrésistiblement à la lecture de ce dernier tronçon. Quelle cruelle énigme pour moi que ces trois parties, prises individuellement (sauf la première) ou bien encore les unes par rapport aux autres ! Tant mieux ! Hormis la beauté des mots, le plaisir est peut-être aussi là, dans le fait que tout ceci ne devait après tout point être lu ou compris...<br /> Cependant je ne peux m'empêcher de revenir – et c'est là peut-être ma limite – sur la profusion des images poétiques. En effet, je me demande si un grand nombre de ces métaphores, telles que le "jusqu'au crépuscule", ou peut-être aussi "le voile d'aveuglement"– pour n'en citer que deux au hasard–, ne se perdent pas dans le torrent des mots, faute de trouver des appuis assez solides où prendre pied, en clair, être l'aboutissement d'un filage poétique méthodique. Pourquoi un crépuscule ? Avec un peu d'effort ou d'imagination, on rétablit le sens, mais de tels images surgissant subitement (ou presque) entravent le mouvement, rendent plus ardue la lecture. On a envie de penser qu’il n’apporte pas grand-chose au sens texte de dire « crépuscule » plutôt que « fin ». Cependant l’image est suffisamment forte pour qu’elle interpelle, qu’elle appelle un sens particulier correspondant à la nuance qu’apporte « crépuscule » par rapport à « fin ». Mais je ne vois pas à quoi fait écho ce crépuscule sinon à d’autres passages du texte… mais bien trop éloignés pour qu’on s’en souvienne en le lisant. Prendre garde que l'effort que l'on demande au lecteur soit justement récompensé ... Ou alors il y aurait volonté d'éblouir et d'égarer le brave lecteur par de tels effets pour qu'il ne puisse saisir immédiatement une idée, qui, présentée plus simplement, apparaîtrait moins extravagante. <br /> J'en reviens à mon idée musicale de thème et de variations. Le chant poétique glisse naturellement en assurant une certaine continuité mais en variant assez pour ne point trop lasser l'auditoire. On dirait que vous craignez de lasser en introduisant sans cesse une nouvelle idée. <br /> A moins que ce ne soit plutôt la densité, la souffrance de la rêverie que vous voulez rendre, de la réflexion. Cela conviendrait au point de départ métaphysique : les souvenirs de nos sensations tiennent-elles de l’esprit ou du corps ? Ou en d'autres termes : l'âme une fois échappée du corps garde-t-elle la mémoire de ce qui a été vécu ? Mais il semble que rapidement vous refusez et à juste titre l’étroite rationalité et, suivant sans doute votre inclination, vous cherchez à approcher le mystère par une évocation personnelle, poétique et mystique. <br /> Hélas, le lecteur est là, qui désespère de comprendre seulement quelles principales dynamiques vous animent. A défaut de comprendre, il pourrait adhérer à l'exploit du poète qui réussit à convertir en un chant tragique son incapacité à exprimer les obsédantes et antagonistes aspirations de l'âme, de la chair…<br /> Car vous clamez votre innocence, votre souffrance et votre impuissance et je vous crois volontiers ! Mais malgré tout, la volonté même d'écrire ne se prolonge-t-elle pas dans celle de plaire à la partie de soi qui écrit et par-là anticipe déjà nécessairement les attentes de ceux qui liront ?
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A
Merci pour ce commentaire qui m'a laissé tout de même songeuse un bon moment. J'ai tenté de vous répondre, enfin, je blogue jusqu'au bout !